Avec les fortes chaleurs estivales, la consommation d’eau croît dans la restauration, et ce malgré un contexte économique et environnemental complexe. Touché par le Covid, le secteur reprend des couleurs, aidé par une démarche RSE de plus en plus prégnante et de nouvelles solutions pour valoriser l’offre au sein des restaurants. Par Inès Evrain
En 2022, après une année 2021 encore marquée par les restrictions sanitaires, le marché de l’eau en restauration hors domicile a repris des couleurs : la clientèle, de retour dans les restaurants, a permis au marché d’enregistrer une croissance de 13%, selon GIRA Good Service 2023. Le secteur des cafés, hôtels, restaurants (+30%) et les transports (+40%) ont joué un rôle important dans ces chiffres positifs.
Un marché porteur
Au restaurant, Nathan Helo (Dupin Restaurant, restaurant bistronomique parisien) enregistre une hausse de la consommation d'eau en bouteille : « Nous servons environ 30 à 40 litres d’eau en bouteille par jour », explique le chef, qui remarque une consommation plus importante d’eau plate (2/3 de la consommation, contre 1/3 pour l’eau gazeuse). L’été, cette consommation tend à augmenter, mais certains fournisseurs se retrouvent confrontés à des épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents : c’est le cas de Perrier (groupe Nestlé) qui, tout en s’attachant à préserver l’approvisionnement de ses produits auprès des restaurateurs, doit faire face à « des conditions d’exploitation de plus en plus difficiles ces derniers
mois, notamment en raison d’évènements climatiques devenus plus fréquents et plus intenses avec une alternance d’épisodes de sécheresse et de fortes pluies », explique la marque. « Au cours de l’été, nos ventes d’eau minérale naturelle Evian peuvent varier en fonction des conditions météorologiques », reconnaît de son côté la marque de Danone Waters, avant de tempérer : « À date, il n’est pas observé d’impact de la sécheresse sur l’aquifère Evian, le niveau reste constant. »
La sécheresse n’est pas le seul défi rencontré par le secteur : la situation économique et le contexte mondial freinent les approvisionnements de certaines matières premières, impactant dès lors la distribution des fournisseurs d’eau. En revanche, l’inflation ne modifie pas les habitudes de consommation de la clientèle : « L’inflation n’a pas vraiment eu de répercussions sur la vente de bouteilles d’eau ou d’eau filtrée : à cause de la chaleur, les gens ont toujours plus envie de se désaltérer », explique Nathan Helo, qui affirme faire payer son eau, filtrée grâce à un appareil Castalli. Au Rouge Barre, restaurant lillois tenu par Steven Ramon, la consommation d’eau le midi reste la même, malgré une baisse de fréquentation, et malgré les prix pratiqués – 1,50€ pour l’eau micro-filtrée, 5€50 pour une bouteille de Badoit ou d’Evian. L’eau filtrée, pratique de plus en plus courante dans la restauration hors domicile, présente de nombreux avantages : « Source d’économies, grâce à la réduction de calcaire (environ 45% de dépenses en moins), l’eau filtrée est un choix à la fois écologique et écoresponsable, puisque ça limite les achats en bouteilles de verre et de plastique », explique Nathan Helo.
L’eau, de plus en plus écoresponsable
Le secteur de l’eau s’inscrit de plus en plus, comme beaucoup, dans une démarche RSE : avec son projet « Evian comme à la source », testé par la marque d’octobre 2022 à février 2023 dans un établissement hôtelier, le fournisseur vise à « réduire significativement le nombre de petites bouteilles en plastique mises sur le marché dans ce circuit ». Grâce à une fontaine à eau minérale naturelle hors domicile, la marque entend ainsi remplacer ses bouteilles de 50 cl et réduire de 25% la quantité de plastique utilisée.
Pour favoriser cette transition, les fournisseurs repensent également leurs emballages : bouteilles en verre consignées pour Perrier, bouteilles sans étiquette pour les cafés, hôtels et restaurants chez Evian, sont autant de solutions pensées pour
réduire l’empreinte carbone du secteur. Les marques Thonon Chateldon (Sources Alma), eaux de prestige dédiées aux restaurateurs, se dévoilent quant à elles dans des bouteilles en verre de 33 à 75 cl, recyclables grâce au tri sélectif, tandis que l’eau de la marque Volvic a été certifiée neutre en carbone par The Carbone Trust en 2020, et a rejoint le mouvement B Corp.
Côté restaurateurs aussi, les actions RSE ne manquent pas. « L’eau reste un élément essentiel à la vie et à la survie », rappelle Steven Ramon – la gaspiller n’est donc plus une option. « Au restaurant, les bouteilles sont souvent terminées. S’il reste un fond, je donne la bouteille vissée à mes clients, mais ils ne la prennent pas toujours », explique le chef de Rouge Barre. Chez Nathan Helo, l’eau est récupérée dans des seaux : « Même si nous les avons servies, ces eaux restent propres, les clients ne les ont pas touchées. C’est quand même très rare qu’il nous en reste. » L’eau minérale peut aussi être réutilisée en cuisine : c’est ce qu’a appris Steven Ramon en rejoignant le collectif Mineral Water Natural Lover. « En suivant les conseils de Thierry Marx, j’ai appris qu’on pouvait très bien cuire des aliments dans de l’eau Badoit pétillante : son goût un peu salé permet de moins saler le plat avec une cuisson plus rapide parce que le gaz carbonique va détendre les fibres. Elle peut aussi être utilisée en marinades, pour détendre une viande », confie le chef. Une manière créative de réduire le gaspillage !
Des accords mets/eaux
Cette association de l’eau et de la cuisine se retrouve également à table : Philippe Juglar, président de l’AVPA, assure que comme avec le vin, avec l’eau aussi, les accords sont possibles. « Il faudra une eau légèrement acidulée, par ses composants minéraux, pour s’accorder avec un poisson », explique-t-il. « Sur des fruits ou des pâtisseries, l’eau doit être
aussi neutre que possible, tandis que pour une viande rouge, elle doit être très minéralisée, très forte en goût. » Ces accords permettent de valoriser l’offre d’eau dans les restaurants et doivent s’accompagner de la mise en place d’une carte des eaux locales : « Si les restaurants veulent valoriser leur offre d’eaux, il faut une carte locale, et une formation de sommelier afin de favoriser cette valorisation », poursuit Philippe Juglar. Cette idée séduit Steven Ramon : « J’ai rencontré un jeune homme qui avait une carte d’eaux locales juste dingue, avec une trentaine de références que je ne connaissais pas. » Nathan Helo, de son côté, estime qu’en filtrant son eau, il « est difficile de faire plus local ». Une eau filtrée qui, gustativement, « permet de créer des bulles assez fines ». De son côté, Perrier, bien que présent dans tout l’Hexagone, s’assure d’être particulièrement représenté « dans la région dont est originaire l’eau minérale Perrier, issue du cœur de la garrigue provençale dans le sud de la France ».
Valoriser l’eau au restaurant
« Il faut parler de l’eau comme de n’importe quel produit – comme d’une tomate, ou d’un poisson, explique Steven Ramon. Il ne faut pas la présenter comme un vin, mais presque : c’est un produit qui va se raréfier, pour devenir bientôt un produit de luxe. » Le service de l’eau, sa présentation à la carte, sa description ou encore le rappel de l’histoire de la source, souvent millénaire : autant d’atouts pour valoriser une offre d’eau parfois considérée comme accessoire. Certaines eaux ont donc fait le choix de se présenter comme des eaux prestiges, à l’instar de Thonon et de Chateldon, désormais proposées ensemble sur les cartes des restaurants. Leur identité et leur goût uniques permettent de sublimer les créations des chefs avec au choix, la fine pétillance des bulles de Chateldon qui donne du relief aux mets, tandis que le goût minéral de Thonon permet aux saveurs du plat de s’exprimer.
Valoriser une offre d’eau, dans tous les secteurs de la restauration hors domicile, passe enfin par la mise en avant des produits disponibles auprès du grand public – Volvic est ainsi supporter officiel de la Coupe du monde de rugby France 2023, tandis que Perrier a lancé début juillet une nouvelle campagne d’affichage, vantant les mérites de leur iconique format 33 cl, à savourer au soleil, en terrasse.
L’eau a du goût…
« Les eaux se vendent aussi pour leur goût » : c’est avec l’idée de valoriser ce produit d’exception que l’AVPA et son président Philippe Juglar ont lancé en 2017 le concours des Eaux Gourmets. « L’idée de ce concours était d’organiser l’univers des eaux par famille de goûts, et de trouver les plus intéressantes. » Depuis le concours a été arrêté, pour être remplacé par une certification des grands embouteilleurs français. « Pour l’instant, les sources de taille moyenne les plus intéressées se trouvent en France, en Grèce et en Italie », confie Philippe Juglar. « L’eau a du goût, et il faut en parler », conclut-il.