No/low alcool : une tendance qui se confirme

LE CHEF

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No/low alcool : une tendance qui se confirme
© Monin

Bien au-delà d’une mode, la consommation raisonnée d’alcool est devenue un véritable état d’esprit touchant toutes les générations. Le no/low alcool (pas ou peu d’alcool) reflète les nouvelles habitudes d’une société qui évolue, en quête de bien-être et d’un équilibre de vie plus sain.
Par Emilie Niel


 


Inspirée des Anglo-Saxons, la tendance du sans-alcool ne se limite désormais plus au Dry January. Toutes les générations, y compris les Millennials, sont concernées : nombreux sont les Français à vouloir se passer d’alcool ou à diminuer leur


© Monin


consommation. Les principales raisons de cet engouement ? Éviter les effets « contraignants » liés à l’alcool tout d’abord, puis prendre soin de sa santé et enfin, une préférence pour le goût du sans-alcool (un tiers des 18/24 ans déclarant ne pas aimer legoût de l’alcool*).
L’apéritif arrive 1er des moments de consommations de boissons sans alcool pour 39% des Français, contre 30% lors des repas*. Ce marché s’installe donc dans la durée, avec près de 7 Français sur 10 qui affirment aujourd’hui consommer du sans-alcool (dont 38% de consommateurs réguliers). Les puristes (100% sans alcool) représenteraient quant à eux 15% de la population, une tendance qui se dégage de manière flagrante chez les 18-25 ans (23% vs 10% chez les 50-65 ans), les femmes (17% vs 13% chez les hommes) et les foyers à faible revenu (19% vs 10% pour ceux à revenus élevés)**.


BOOSTER SA CRÉATIVITÉ
Pour répondre à ces nouveaux modes de consommation, les professionnels – qu’ils soient barmen, mixologues ou marques de spiritueux – s’adaptent en créant de nouveaux cocktails, de nouvelles boissons innovantes et autres bitters sans alcool,


Matthias Giroud ©lafoliedouce


surfant également sur d’autres tendances : celle du bio, du local et du saisonnier. Là où les jus et sodas ultra sucrés étaient l’unique alternative aux boissons alcoolisées, pléthore de vermouths & gins sans alcool, concentrés ou distillats de plantes apparaissent ainsi désormais sur le devant de la scène cocktail française et se distinguent par leur qualité (exit les colorants & arômes artificiels) et leurs parfums. Car qui dit sans alcool ne signifie pas pour autant sans saveur : pas question pour les consommateurs de sacrifier le goût.
Certains n’hésitent donc pas à travailler leurs recettes de cocktails comme un chef imagine ses plats en cuisine. « Il existe un lien intéressant avec l’univers de la restauration dans le processus de création », explique Matthias Giroud, Cofounder & chef mixologue (WM.Signature Agency, L’Alchimiste by Matthias Giroud). « Aujourd’hui, les clients ne veulent pas remplacer le sans-alcool par des softs classiques. Sauf qu’il est 10 fois plus complexe de créer un cocktail savoureux


© lafoliedouce


sans alcool, car les barmen ont été formés, éduqués à créer autour d’un gin, d’un whisky et non autour d’un bois fumé, d’une racine, d’un poivre… C’est finalement cela qui nous rapproche du monde de la cuisine. Avec les chefs, nous faisons le même métier à la différence que je transforme des ingrédients sous forme liquide ! »


EN QUÊTE DE SAVEURS
Une véritable « recherche absolue » des saveurs est en effet observée dans le microcosme des bars à cocktails. Les clients qui se laissent tenter par une création sans alcool sont exigeants, et s’attendent désormais à vivre une nouvelle expérience. « En 2023, nous avons relancé notre gamme “Pure by Monin”, soit 6 références de concentrés aromatiques sans sucre ajouté ni édulcorant », explique Hadrien Descamps, chef de marque CHD. « Car si le no et le low sont effectivement de vraies tendances, le “low sugar” en est une aussi ! Le problème, c’est que si l’on diminue la dose de sucre dans un verre, on enlève aussi une bonne partie de la puissance aromatique. Avec Pure, on la conserve, en plus de proposer des références gourmandes (pêche-abricot, mangue-passion…). »
Monin est allé encore plus loin en lançant, en 2019, les Cordials Paragon, nouvelle génération de cordials aux saveurs botaniques pointues. Développés grâce à des technologies issues de l’industrie du parfum, ils sont moins sucrés que des sirops et dévoilent des notes acidulées « via la mise au point d’une combinaison de différents acides citriques, gluconiques et lactiques », continue Hadrien. « Nous avons commencé par les poivres (baie de Rue, de Timur et poivre de Penja), puis avons greffé à cette collection, fin 2023 une nouvelle collection “Mystic” autour de fragrances précieuses (Palo Santo et Vétiver). Il s’agit d’une gamme de niche ultra spécifique, qui permet aux barmen de réaliser des cocktails originaux, aux saveurs puissantes, avec peu d’ingrédients. » Cette gamme qui observe une constante progression depuis son lancement a notamment contribué à redynamiser la marque, pourtant déjà bien implantée dans l’univers du cocktail grâce à ses 150 références.


REPRODUIRE OU CRÉER ?
« De plus en plus de marques se lancent dans les spiritueux sans alcool, cela stimule les créativités », remarque Alexandre Bouglione, mixologue au sein du très festif Coya Paris (75007) depuis 2022. Le Pisco Bar, antichambre du restaurant aux


Alexandre Bouglione ©Coya


plats fusion péruviens, assiste cette année à une telle demande en no-alcool que la carte mise en place en janvier dernier à l’occasion du Dry January – en partenariat avec les boissons sans alcool Lyre’s (imitant le parfum des spiritueux traditionnels) – reste finalement à l’année. Blossom Spritz, Palomita ou Martini Espresso sont ici réalisés à base de gin, d’Apérol ou encore de prosecco sans alcool car « même si nous proposons 2 mocktails permanents, notre objectif n° 1 chez Coya à travers cette nouvelle offre est de retravailler les grands classiques en version sans alcool ».
Sur ce point, les avis diffèrent : « Pour moi, l’avenir du sans-alcool ça n’est pas un gin ou une tequila désalcoolisés. L’idée n’est pas de créer des “duplicatas” d’alcool », précise Matthias Giroud. « Pour bien comprendre, il faut déjà différencier le “low” alcool qui, selon moi, est


© Coya


une tendance intéressante, permettant de développer une délicatesse supplémentaire dans les saveurs, d’ouvrir de nouvelles portes. Et puis il y a le sans-alcool, qui lui est une véritable révolution avec une demande qui explose en France et dans le monde, avec des clients qui exigent des créations bien plus haut de gamme que les “mocktails” habituels – des classiques version “virgin”. » « Aujourd’hui, sur les établissements à large plage horaire, le business du sans-alcool représente 30 à 40% des ventes sur une journée », ajoute Matthias. « Avant, lorsque je créais des cartes pour les bars, sur 10 cocktails j’en produisais 2 sans alcool. En 2024, nous sommes sur du 50/50 ou au minimum du 60/40 les trois quarts du temps. L’offre se doit donc d’évoluer. »
Chez Drinks&Co, bar-caviste de 500 m² près de la gare Saint-Lazare à Paris (75008), l’offre « No/Low » s’est également considérablement élargie : « Nous voyons une vraie différence. D’année en année, les produits dédiés ont nettement augmenté. Nous avons 40 références sans alcool : des alternatives aux spiritueux élaborées, des distillations pointues, de savoureuses recettes sans éthanol », explique Smaïl Siyar, B2B & Bar Manager Drinks&Co. Mais il semblerait


Smaïl Siyar ©Drinks&Co


que le plus intéressant soit l’avènement de nouvelles alternatives sans alcool inédites, aux saveurs nouvelles qui n’imitent pas les alcools existants. « Ces boissons-là ont leur propre valeur ajoutée, apportant des notes complexes, profondes, que l’on ne connaissait pas jusqu’alors. »
Un renouveau qu’observe également Alexandre chez Coya : « Ces nouvelles boissons nous permettent d’équilibrer les saveurs de manière efficace sans avoir recours à trop de sucre ni de jus. De notre côté, nous travaillons nous-mêmes notre Vermouth maison en prenant un vin blanc sans alcool pour y infuser du romarin, de la cannelle, de l’anis étoilé avant de faire macérer le tout 1 semaine, et de filtrer. »


L’ESSAYER C’EST L’ADOPTER
Si le no/low alcool a définitivement trouvé sa clientèle, celle-ci a bien changé. « Chez Coya, ces cocktails spécifiques ont toujours eu du succès face à un public issu du Moyen-Orient. Mais cela a changé, désormais, nombre d’Européens de tous âges sont aussi en demande », souligne Alexandre.
« Si le sans-alcool était ennuyeux jusqu’à présent, c’était de notre faute à nous, les barmen et mixologues ! », complète


©William Beaucardet


Matthias Giroud. « C’est à nous de faire changer les choses, de ne pas nous contenter d’ajouter du sucre et des fruits, et de bien comprendre que notre public s’élargit et va au-delà des femmes enceintes, des sportifs et de certaines pratiques religieuses interdisant l’alcool. » Car le no/low alcool dépasse désormais l’univers du bar, et se consomme aussi lors des repas ou en terrasse, lorsque les clients souhaitent profiter de l’été en évitant le combo chaleur/alcool. Mais il ne s’agit pas forcément d’un choix naturel : il faut donc être force de propositions pour les amener à sortir de leur zone de confort et tenter de nouvelles expériences. « Chez Drinks&Co, en janvier dernier, nous proposions tous nos sans-alcool à 10€ au lieu de 15. Et nous étudions le profil “aromatique” du client avant de le conseiller, pour comprendre au mieux ses préférences. » Chez Coya, c’est le testing qui est privilégié : « Les gens peuvent être assez réticents au début mais une fois le cocktail goûté, ils se laissent séduire 95% du temps ! », ajoute Alexandre, qui enregistre désormais entre 15 et 20% de ventes sans alcool au Pisco Bar.
Si les méthodes sont différentes, tous sont unanimes quant à l’avenir de ce marché désormais plus qu’émergeant – et notamment celui du « low alcool », répondant idéalement aux préoccupations et modes de consommation des générations Y et Z. « Le “low” est le pont entre le sans et le avec alcool », remarque Smaïl Siyar. « Il permet de passer un bon moment entre amis par exemple, en restant vigilant sur sa consommation, sans tomber dans le piège de l’addiction. Cela répond aux besoins et envies d’une nouvelle génération qui fait attention à elle, à sa santé, mais qui souhaite également conserver ses interactions sociales au quotidien. »
Plaisir, santé et salubrité (ou presque !) : cocktail parfait pour le no/low qui semble donc avoir encore de beaux jours devant lui…


 


Sources :
* Étude YouGov France pour Martini - décembre 2023
** Baromètre 2023 Sowine/Dynata


 


 


Du no/low aussi pendant les vacances !


L’étude CGA sur les grandes tendances de consommation en CHR en France en période de vacances (août 2023) révèle qu’ils sont 23% de Français à consommer des boissons sans alcool ou à faible teneur sur ces quelques semaines (contre 43% de bière et 37% de cocktails classiques).


 


 


Un 1er salon dédié


Une tendance qui séduit, donnant même naissance au 1er salon professionnel des boissons désalcoolisées et fermentées no/low, qui a fait le plein d’exposants et de visiteurs le 11 février 2024 au musée du Vin à Paris (452 entrées pour + de 670 préenregistrés) .