Ce mois-ci, nous vous proposons de (re)découvrir un reportage paru dans Grandes Cuisines, magazine professionnel édité par Les Éditions de la RHF, comme B.R.A. Tendances Restauration. Ce trimestriel intègre de véritables décryptages de réalisations de cuisines en France. Celle du restaurant de l'hôtel Mama Shelter à Lille, inauguré en août dernier, est forte intéressante et met en avant les difficultés des divers métiers.
Par Alexianne Lamy
C’est l’histoire d’une cuisine qui aurait pu compromettre sensiblement les délais d’ouverture d’un hôtel si ce n’est sans la détermination sans faille de Patrice Legrand, directeur du bureau d’études Beha Legrand. Tout commence quand, en 2014, est lancé un concours pour concevoir le premier volet du grand centre d’affaires et d’hébergement Euralille de 11 750 m², entre les 2 gares Lille Flandres et Lille Europe. Nommé Souham – rebaptisé Swam en 2016 – cette 1re partie de
programme prend place autour de l’ancienne caserne attenante d’où il tire son nom. Ce volet comprend alors la conception d’un ensemble immobilier en 3 parties, dont un hôtel avec restaurant en étage.
Quelques rebondissements
Après consultations, c’est le cabinet d’architecture lillois De Alzua+ qui remporte le concours. « Jérôme De Alzua était venu me consulter sur la conception d’une cuisine. Nous avions échangé mais à l’époque je n’avais pas la moindre idée du motif de sa demande ! » se souvient Patrice Legrand, dirigeant du bureau d’études Beha Legrand. En 2016, c’est le promoteur NACARAT, également du Nord, qui prend en main la construction de ce programme.
Rapidement, le groupe Marna Shelter se positionne sur l’hôtel et De Alzua+ contacte Patrice Legrand en lui suggérant de participer à la mise en concurrence de BET Cuisine pour le futur restaurant de l’hôtel. Le directeur du Beha Legrand n’est alors pas le seul à vouloir remporter la mission, Marna Shelter ayant de son côté contacté d’autres bureaux d’études, déjà sollicités pour leurs autres adresses françaises.
Finalement, en 2015, c’est l'entreprise Beha Legrand qui est sélectionné pour porter la conception de la cuisine du Mama Shelter lillois.
Beaucoup de projection
Sitôt retenu, le chef d’entreprise se met au travail avec le peu d’informations dont il dispose, tels le nombre approximatif de chambres pour l’hôtel ou la surface allouée au restaurant. « Certains vont dire qu’il faut connaître la carte du restaurant
pour pouvoir concevoir la cuisine ; mais nous sommes en 2015, avec une ouverture prévue pour 2018 (les travaux ont pris 1 an de retard en raison d’une fouille archéologique survenue lors du chantier, ndlr), et les dirigeants de Mama Shelter eux-mêmes ne savent pas encore quelle offre ils veulent proposer à Lille », poursuit Patrice Legrand.
Comme les plans de gros œuvre étaient bien avancés, il connaissait les grosses contraintes, les accès, la structure générale et les dimensionnements. « J’ai ainsi pu identifier la difficulté du sujet et déterminer les espaces favorables à l’organisation du projet en cours de définition. » Le bureau d’études Beha Legrand se retrouve donc avec un client à 2 têtes : « Mama Shelter qui valide notre candidature et compte pouvoir développer son concept dans le futur bâtiment hôtelier ; et Nacarat, le promoteur propriétaire avec ses impératifs financiers, pour qui je suis maître d’œuvre, et avec lequel j’ai un contrat en direct. »
Une bonne compréhension
« C’est là qu’il faut savoir se comporter en chef de projet, se positionner comme quelqu’un de crédible, proposer des
choses raisonnables, étudier des possibilités, dire oui ou non », lance Patrice Legrand. Et pour naviguer entre ces 2 entités, une seule solution possible pour lui : comprendre les points importants du projet. « Je savais quelles étaient les demandes essentielles, pour lesquelles il fallait trouver une solution qui rentre dans le budget du promoteur, et celles qui l’étaient moins, où je pouvais négocier d’autres hypothèses de travail convenant à chacun. » Pour son établissement lillois, Mama Shelter demandait alors :
• une cuisine ouverte sur la salle et organisée autour d’un grand piano de chef ;
• une entrée de la laverie depuis la salle afin que les serveurs ne traversent pas la cuisine ;
• un laboratoire de pâtisserie séparé ;
• et une interface entre le design de la cuisine et celui du grand bar au centre de la salle.
Des choix primordiaux
Après quelques mois et des échanges avec les parties prenantes, Patrice Legrand rend son projet d’aménagement. « Sur ce
temps réduit, il faut aller chercher et compiler les informations structurantes comme les accès, les exigences clients, les évacuations, les contraintes du bâtiment, les gros équipements et leur quantité. » C’est sur cette proposition que s’est appuyé le bureau d’études Projex pour lancer les extractions. « Il est donc essentiel de ne pas se louper dès le début ! Évidemment tout ceci s’affine avec le temps... Mais pour le gros équipement par exemple, le quantitatif n’évolue guère. »
Vient ensuite l’étape du choix de l’installateur. Patrice Legrand rédige alors un cahier des charges comprenant différentes contraintes et suggestions, dont celle de proposer, entre autres, un piano Palux. Aux côtés des 2 installateurs suggérés par Mama Shelter, Patrice Legrand en sélectionne 4 autres locaux. « L’ancrage local était essentiel à mes yeux, notamment pour la maintenance de cet hôtel qui allait être ouvert 7j/7. J’ai demandé à chacun des installateurs en retour un dossier complet avec toutes les fiches modèles des équipements en mentionnant les cotes », insiste Patrice Legrand.
Un installateur émergent
Après analyse des dossiers et entretiens individuels, une proposition fait mouche. « Il s’agissait d’un installateur local émergent qui avait soigné son offre, avec des marques que l’on voulait absolument et d’autres qui nous convenaient
parfaitement, et qui se proposait d’apporter une attention particulière au design. » Cette société est retenue et intègre le projet début 2016. Rapidement, il leur est demandé de fournir des plans. « Des difficultés commencent à apparaître. Ils n’avaient personne dans leur équipe capable de faire les plans ; ils sous-traitaient, avec une qualité laissant à désirer. »
Les mois défilent et le chantier débute en octobre 2016. Patrice Legrand et Augustin Joubert, nouveau chef de projet pour ce Mama Shelter lillois, renouvellent la demande de plans d’exécution précis et complets à l’installateur, sans succès. Cependant, Patrice Legrand suit toujours de près le chantier. « Je savais que Projex avait toutes les infos nécessaires pour réaliser les gros percements. Pour le reste, je savais que nous verrions en temps voulu ! » Puis arrive le moment, en septembre 2018, où les murs étaient sur le point d’être achevés. « Il fallait attaquer la fin de chantier, et être certains des plans d’exécution ! »
Une explosion déroutante
Mais un événement chamboule tout : en fin d’année, l’un des 2 associés de la société d’installation quitte le navire ; et, en janvier 2019, la société est vendue. « L’installateur avait explosé en plein vol ! Nous aurions dû être au moment où il finalise son plan d’exécution, négocie, commande son matériel... » La société est alors rachetée par une personne issue du
monde de la ventilation, qui reprend les contrats en cours. « Si seul le nom de l’interlocuteur avait changé pour le promoteur, tout était remis en question pour moi. Était-il capable de remplir toutes les requêtes techniques, financières ? »
En mars 2019, la cuisine est au point mort alors que la construction va bon train, et que les cloisons sont en cours de montage. « On commence à nous attendre pour des éléments de structures, se souvient Patrice Legrand. Je m’enquiers auprès du repreneur pour les plans d’exécution, ce à quoi il me répondait toujours “je vous les donne demain”. » À force d’essuyer des retards, Patrice Legrand commence à tirer la sonnette d’alarme dans l’espoir de faire prendre conscience au promoteur de la gravité de la situation : « Avec son accord, j’envoie des courriers recommandés. S’il ne s’agissait que d’un restaurant, cela aurait été plus facile de pointer les dysfonctionnements ; mais dans ce type de projet immobilier, la cuisine est noyée dans l’océan des problèmes de l’ensemble. »
Un rattrapage d’urgence
À force, Patrice Legrand arrive à se faire entendre ; et quand l’installateur ne se rend pas à la réunion de chantier en mai, son sort est scellé, et il est exclu du projet. « Il y avait une grande pression pour ouvrir en temps et en heure. Le promoteur me demande alors de trouver un poseur. » C’est ainsi que Patrice Legrand prend, en mai 2019, une mission d’AMO avec Nacarat avec en vue la supervision de l’aménagement de la cuisine à 3 mois de l’ouverture du restaurant.
Première étape : faire le point sur les commandes. « Je téléphone aux fabricants et distributeurs et je leur demande s’ils ont reçu la commande de l’installateur. » Stupéfaction : hormis 2 lave-verres, aucune commande n’avait été faite ! Patrice Legrand retrousse ses manches : « J’ai décortiqué ce lot cuisine en fonction de ce qui avait été prévu sur la base du marché. »
Son attention se pose d’abord sur le froid. « Ce sujet nécessitant de la technique, il me fallait un installateur. Les locaux qui avaient été sollicités en début de projet étaient tous surchargés de travail à l’approche de l’été. Je sollicite donc Quietalis, qui a une agence à Tourcoing. » Un choix payant, la société ayant accepté d’effectuer l’installation au prix du marché.
Une livraison dans les temps
Du côté des meubles en inox et sans technique, Sofinor est venu prendre les cotes et c’est la société ASDC Multiservice qui s’est chargée de la pose, comme de celle de tous les meubles non reliés techniquement. « Pour le piano sur mesure, j’ai appelé l’agence belge qui distribue Palux. Ils ont réalisé le piano et sont venus l’installer. » Restait ensuite à commander et à faire installer le reste du matériel technique, soit les fours et les machines à laver. « Ce sont des fabricants de qualité qui pour la plupart ne vendent qu’à un installateur référencé et qualifié, notamment en raison du contrat de maintenance. J’ai demandé à Quietalis s’il voulait bien installer ces équipements, et aux fabricants s’ils acceptaient que Quietalis s’en charge. Leurs accords respectifs étaient une vraie marque de confiance et d’entraide. »
Les commandes passées, Patrice Legrand a mis un plan d’action au jour près entre les réceptions de matériels et les poses. « Tout devait être millimétré, car de nombreuses commissions de sécurité venaient faire leur vérification de validation pour une ouverture de l’hôtel avec son restaurant. » Et, après moins d’1 mois d’installation, la cuisine était prête, le 20 août 2019, comme prévu ! « Elle n’a pas été un prétexte pour expliquer un quelconque retard aux incidences financières qui auraient été considérables », se félicite Patrice Legrand, qui n’a jamais laissé tomber le projet malgré les obstacles. « Je m’étais mis dans une compétition. Je n’avais qu’une envie : franchir la ligne d’arrivée dans les délais ! »
Les principaux matériels de cette cuisine
Cuisson
• 3 fours SelfCookingCenter Rational
• 1 VarioCookingCenter Rational
• 1 piano Palux
• 1 plaque induction Sofraca
Froid et meubles réfrigérés
• Furnotel
Laverie
• 2 lave-verres Winterhalter
• 1 lave-vaisselle à capot Winterhalter
Inox et bar
• Sofinor
• Gamko
Petits équipements
• 1 Pacojet
• 1 pétrin Electrolux
• 1 robot batteur Electrolux