La consommation de sauces froides a explosé depuis la pandémie de Covid-19. Une augmentation expliquée en partie par l’essor de la street food et la démocratisation de la cuisine du monde. En parallèle, les sauces bénéficient d’un regain d’intérêt dans les restaurants traditionnels, notamment porté par un retour à une cuisine plus authentique.
Par Titouan Thonier
Elles ont fait la renommée de la cuisine française à l’international. L’importance des sauces dans notre gastronomie n’est plus à prouver. Chaudes, froides, tantôt au cœur de l’assiette, tantôt en accompagnement, leurs composantes et leurs utilisations n’ont cessé d’évoluer au fil du temps et des habitudes alimentaires. « Le travail des sauces est une discipline rigoureuse mais passionnante. C’est en quelque sorte le Graal de la création culinaire », déclare Rémi Lazurowicz, chef du restaurant gastronomique LAZU à Paris (ex-Bouillon 47). Qu’il s’agisse de restauration rapide ou de cuisine plus traditionnelle, les sauces bénéficient d’un irréfutable regain d’intérêt.
L’essor des sauces froides
Une tendance forte et encore plus identifiable depuis la crise sanitaire, notamment chez les industriels. « On remarque une hausse des ventes significative des sauces froides depuis la pandémie de Covid-19 », signale Yann Terrien, directeur commercial et marketing d’Idhéa. La fermeture des restaurants au moment du Covid puis le télétravail et la
déstructuration des repas ont eu un effet boost sur le développement de la livraison et donc du snacking. Un bouleversement des mœurs dont le marché des sauces froides a largement profité. « Ce phénomène a entraîné une croissance des sauces froides et surtout une diversification de celles-ci permettant aux restaurateurs d’élargir leurs offres et leurs formats », confirme Amélie Castro, responsable marketing de la restauration commerciale chez Unilever Food Solutions. Le Covid a également provoqué un autre phénomène, à savoir le changement de format des contenants. « Cette période a marqué l’éclosion du format dosette », développe Yann Terrien. Une pratique extrêmement importante au cours de la pandémie et des mois qui se sont ensuivis. Les utilisations des sauces froides ont également beaucoup évolué. Selon Amélie Castro, elles ne sont plus qu’un simple accompagnement, mais bien un produit dont les usages se multiplient : « Elles ont aujourd’hui une place centrale dans le plat. On les retrouve aussi bien dans des burgers, qu’en assaisonnement de salade, ou en laquage de légumes. » Le prêt à l’emploi n’est également plus synonyme de mauvaise qualité, et peut s’avérer un véritable allié des restaurateurs, « surtout dans un contexte de pénurie de personnel », ajoute-t-elle.
Besoin d’évasion
Les conséquences de la crise sanitaire sur la restauration ont été multiples et continuent de se faire sentir. Le développement exponentiel de la world food en est à coup sûr un des principaux aspects. Si les ventes des classiques ketchup, mayonnaise et moutarde sont relativement stables en termes de volume, on assiste en revanche à l’avènement des sauces dites « variétés » et « ethniques », qui « explosent littéralement », selon Yann Terrien. Les saveurs du monde ont effectivement fait partie des grandes tendances de l’année écoulée. Parmi elles, les sauces épicées et les associations sucré/salé fonctionnent particulièrement bien, notamment auprès des jeunes générations. En témoignent par exemple les dernières créations d’Unilever Food Solutions dans sa nouvelle gamme Knorr® Cuisine du Monde. La sauce Teriyaki, à base de saké, sauce soja, mirin et sucre, apporte une touche douce et sucrée à n’importe quel plat. À l’inverse, la Sunshine Chili, principalement composée d’ail et de piment rouge, vient surprendre les papilles pour accompagner viandes, crevettes ou encore en marinade.
Cap sur l’asie
La démocratisation de ces saveurs est intimement liée au besoin d’évasion et aux envies d’ailleurs des individus en cette période post-pandémie. Amélie Six et Anaïs L’Héritier, toutes deux cadres chez Traditional World Foods, expliquent : « Nous avons connu un développement extrêmement fort de nos produits depuis la crise sanitaire. Les restaurants étant fermés, les consommateurs ont recréé des recettes chez eux et se les sont appropriées. » TWF travaille notamment avec la marque japonaise Kikkoman, leader sur la sauce soja à l’international. « Les produits asiatiques séduisent de plus en plus de consommateurs », poursuivent les jeunes femmes. Ces derniers, qui représentent 439 millions d’euros de chiffre d’affaires en GMS – une augmentation de 75% par rapport à 2019 –, cartonnent aussi désormais en RHF où « les ventes en volume ont triplé depuis cette même période ». Une tendance également confirmée sur les plateformes de livraison. En 2022, les établissements japonais et chinois terminaient respectivement 3ᵉ et 5ᵉ au classement des spécialités étrangères les plus commandées sur Deliveroo. Au-delà d’être une réponse aux attentes des clients, les sauces variété permettent aux restaurateurs de diversifier leurs cartes et ainsi de se démarquer de leurs concurrents.
Sublimer les recettes
Mais si la cuisine du monde, et en particulier le segment des sauces, a bien entamé sa démocratisation, d’autres défis demeurent. Malgré le succès des cuisines mexicaines, asiatiques ou indiennes, il demeure compliqué de réunir toute une famille autour d’une table world food, car les goûts de chacun restent très différents. De plus, sur les quelque 200 000 restaurants indépendants en France, une large partie reste des établissements « classiques » type bistrots/brasseries, dont la carte ne rime pas forcément avec ces sauces et produits du monde. « Néanmoins, une nouvelle vague de bistrotiers
arrive et donne l’impression que les sauces sont de nouveau à la mode », avance Yann Terrien. Pour Rémi Lazurowicz, « le fait que les sauces reviennent en force marque surtout la fin d’une autre tendance : celle de la cuisine d’assemblage ». Si ce constat n’est pas forcément avéré dans le domaine de la street food, il est bel et bien réel dans la restauration traditionnelle. « On dit souvent qu’il y a des cycles. Là, on revient à une cuisine pas forcément plus travaillée mais plus cuisinée au sens le plus pur du terme », explique-t-il. Au sein de son établissement parisien ouvert en 2018, il met l’accent sur le travail maison et artisanal des sauces, jus et autres fumets. « La sauce est systématiquement le liant d’un plat. C’est ce qui, je trouve, manque souvent : la cohérence de l’ensemble. On juxtapose des produits, aussi bons soient-ils, mais pas grand-chose ne se passe. » Le chef ambitionne de redonner ses lettres de noblesse au travail des sauces. Il qualifie lui-même sa cuisine de simple et traditionnelle. « Par simple, j’entends qu’elle est lisible, précise-t-il. Tous les goûts dans l’assiette sont utiles et servent à quelque chose. » Il s’impose les mêmes contraintes dans la confection de ses sauces. Même s’il s’agit d’une création classique, elle doit apporter quelque chose et sublimer l’assiette…
Heinz s’invite au Perchoir Ménilmontant
C’est une première dans l’histoire de la marque. Heinz s’associe en effet à un grand chef de la cuisine italo-américaine, Gianmarco Gorni, pour une création culinaire unique : la Heinz Tomato Ketchup Pasta Sauce, une purée de tomates 84%, associée à du Heinz Tomato Ketchup 10%, quelques oignons, carottes, céleri, sel et huile d’olive. Dans sa nouvelle résidence parisienne Vecchio, le Little Italy du Perchoir Ménilmontant, le chef Gianmarco Gorni a ainsi cuisiné un classique de la gastronomie italo-américaine, des spaghettis meatballs avec cette nouvelle création. Avec cette sauce, Heinz explique répondre à la controverse du ketchup sur les pâtes, débat houleux depuis de nombreuses années. De son côté, Gianmarco Gorni déclare « s’inspirer des codes pour mieux les casser » en transformant la « tambouille » des premiers Italiens aux États-Unis.