Les beaux jours arrivent et avec eux l’envie de prendre un verre en terrasse gagne les Français. Autrefois moment convivial mais à domicile, l’heure de l’apéritif devient un réel instant de consommation, dans nombre d’établissements. Par Inès Evrain
La pandémie de Covid aura bouleversé bien des choses dans nos sociétés, et les moments de consommation ne font pas
exception. Face à une déstructuration du temps de travail, à une recherche de convivialité et à des logements en centre-ville de plus en plus petits, l’apéritif gagne en importance dans les restaurants. « Cette émergence des nouveaux moments de consommation, dont l’apéritif, correspond au croisement de plusieurs tendances de fond. Quand on regarde les plages horaires des tendances de consommation, on s’aperçoit que celle de la restauration à table diminue, voire disparaît. Au contraire, le snacking nomade tout au long de la journée prend de l’importance, allant de 5 à 6 prises alimentaires par jour », explique Philippe Jean, DG de Del Arte. L’enseigne a d’ailleurs récemment lancé son concept de Cafferitivo, dans l’idée de répondre à ces nouvelles tendances de consommation.
Un phénomène poussé par les jeunes générations
Pour Cyril Gervais, responsable marketing et communication de Basilic&Co, cette émergence de l’apéritif est avant tout un
phénomène sociétal, tiré par les jeunes générations. « Il y a aujourd’hui une déstructuration du temps de travail, avec le télétravail, qui fait qu’il y a des tiers lieux qui se créent et que le travail peut avoir lieu dans divers endroits – travailler dans des restaurants est désormais permis ! Le fait d’être de moins en moins à la maison nous pousse à consommer à l’extérieur, et ce phénomène s’extrapole jusqu’aux apéritifs ou aux petits-déjeuners. » Une nouvelle génération qui cherche à prolonger une journée de travail par des moments festifs, entre amis ou collègues : « L’apéritif symbolise cette fin de journée de travail, et c’est sans doute le créneau
le plus intéressant en termes de chiffre d’affaires », estime Philippe Jean.
L’apéritif, grand gagnant de cette nouvelle façon de travailler ? Certes, mais également victime de l’inflation de ces derniers mois : selon The NPD Group, qui publiait en février dernier une étude intitulée « Les Français face à l’inflation », 30% des personnes interrogées disaient prendre moins d’apéritifs. Une évolution à double tranchant, donc, à laquelle les restaurateurs doivent s’adapter. Miser sur les offres d’Happy Hours ou faire évoluer ses horaires pour proposer des plages plus adéquates à l’afterwork sont autant de solutions. « Parce que nous avons pressenti qu’il y avait une tendance à saisir et que nos clients nous le demandaient, nous avons ajusté nos horaires et testé l’ouverture en continu, explique Cyril Gervais. C’est un réel atout d’un point de vue RSE, puisque cela nous permet de proposer des shifts plus longs, sur une journée. »
Adapter son offre…
Depuis qu’ils ont mis en place leurs nouveaux horaires, les établissements Basilic&Co enregistrent des pics de
consommation plus tôt dans la soirée. « L’offre évolue en conséquence. On a toujours eu des produits adaptés, comme nos foccace, qui sont dans le concept depuis quelques années. » Toutefois, d’un point de vue opérationnel, les restaurateurs doivent revoir certains de leurs processus de travail: « On ne coupe pas un fromage de la même manière pour le mettre sur une planche ou sur une pizza. C’est plus complexe. » Petit à petit, la marque développe son offre et décline ses recettes phares en format individuel. « L’idée, c’est de prendre la gamme de départ et de la faire rimer avec l’apéritif » L’offre idéale ? Planches apéro ou produits à partager, toujours avec des ingrédients aussi bons seuls qu’en pizzas, et que l’enseigne s’applique à sourcer et à goûter. « Notre nouveau concept propose un rayon épicerie : nous aimerions essayer de faire goûter nos fromages et nos charcuteries sur place. »
… mais aussi son espace
Plus que l’offre de restauration, s’adapter à l’émergence de l’apéritif nécessite de modifier l’espace. C’est dans cette idée que Del Arte a lancé, en juin puis en mars, son nouveau concept, le Cafferitivo. « Pour l'instant, l’apéritif représente un chiffre d’affaires presque nul, car nous ne sommes pas ouverts tout au long de la journée et, historiquement, nous ne sommes pas un acteur légitime sur cette plage horaire », confie Philippe Jean. Sans comptoir dédié ni bar où s’accouder, les anciens établissements du groupe ne permettent pas de répondre pleinement à cette nouvelle consommation. « Mais le changement s’opère, avec notamment l’ouverture de Nestore. Nous allons matérialiser un espace dédié dans les autres établissements dès 18 heures. » Être attentif à la convivialité du lieu, sans toutefois pousser dans l’ultra-convivialité pour ne pas concurrencer les enseignes spécialisées, la clé pour gagner du terrain ?
Hausse du sans alcool
Bien qu’ils consomment davantage sur cette tranche horaire de l’apéritif, les convives tendent à prendre de moins en moins d’alcool. « Le phénomène est assez marqué depuis 4-5 ans, avec le Virgin Mojito, qui est apparu sur notre carte », se souvient Philippe Jean. Pour concilier ces deux tendances, il faut savoir garder « un produit typé, avec des boissons naturelles, pétillantes ou pas, et un travail sur des sirops ou des jus de fruits. On s’est engouffrés là-dedans ». De son côté, Basilic&Co a toujours présenté une gamme de boissons non alcoolisées à sa carte.
Pourtant, côté boissons alcoolisées, les offres ne manquent pas, tant sur le terrain du local français que des boissons italiennes. « Chez Basilic&Co, nous incitons les franchisés à avoir des produits et des boissons locales, à pousser les brasseries artisanales de leur secteur ou le vin pour les régions viticoles. Ça nous permet de proposer des produits qui sortent de l’ordinaire. Notre prochain terroir sera l’Alsace, et nous mettrons donc en avant une bière blonde de la brasserie Papyllon, qui s’appelle Les Trois Frontières. » Chez Del Arte, les produits italiens sont à l’honneur au bar du Cafferitivo : « Le territoire italien est presque aussi légitime que le terrain français pour l’apéro : la bière prend de plus en plus de place et les cocktails évoluent. Ils viennent s’ajouter aux produits classiques, tels que le Spritz, le Negroni ou encore le Bellini », explique Philippe Jean. Avec les beaux jours et la poussée de la boisson au verre, la tendance de l’apéritif devrait gagner du terrain et s’inscrire dans la durée. Avec son concept du Cafferitivo, Philippe Jean espère bien convaincre ses clients de rester dîner.