En 2024, le végétal s’est clairement et durablement invité dans nos assiettes. La tendance apparue il y a quelques années a pris de l’ampleur, affichant désormais un essor phénoménal. Les industriels rivalisent d’imagination quant à l’élaboration de substituts végétaux, et les professionnels de la RHF multiplient les offres légumières en réponse aux demandes croissantes des consommateurs. Mais si les causes de cet engouement sont multiples, elles ne sont pas toujours celles que l’on croit.
Par Emilie Niel
Prise de conscience écologique ? Engagement éthique envers la cause animale ? Volonté de privilégier sa santé ? La consommation de légumes a explosé en France ces dernières années, et 2024 s’annonce encore davantage dans cette tendance. Selon une récente étude Deliveroo dédiée, améliorer sa santé serait la préoccupation de 51% des sondés, la prise en compte de la cause animale arrive deuxième (49%) et celle de la cause environnementale, 3e avec 45% des sondés (étude Yougov/décembre 2023 sur 1001 personnes majeures). 54% des interrogés sont aussi prêts à intégrer des alternatives végétales à leur alimentation – chiffre qui monte à 63% pour les 18-34 ans – et plus révélateur encore, 32% des Français s’annoncent prêts à adopter un régime dit « végan » durant un mois, contre 26% en 2022, 18% en 2020 et seulement 12% en 2019.
CONCILIER SANTÉ, ÉTHIQUE & ÉCORESPONSABILITÉ
Pour Nathalie Douis, directrice marketing Eureden FoodService, « la cuisine végétarienne permet de répondre aux attentes du nombre croissant de flexitariens. Malgré la faible proportion de végétariens et végétaliens en France (2,2 %), l’enjeu de la végétalisation de l’alimentation prend de l’ampleur. Outre des intérêts santé et environnementaux scientifiquement prouvés, 68 % des Français pensent que l’on consomme trop de viande ». Mais un problème persiste : la perception client face au légume. « Même si la tendance à la végétalisation de l’assiette est lancée, elle fait encore face à de nombreux freins : manque de gourmandise, enjeux sociaux et nutritionnels. » Une image encore peu attirante contre laquelle se bat Romain Meder, « théoricien de la Naturalité » aux côtés d’Alain Ducasse chez Sapid, réfectoire végétal parisien (75010) ouvert en 2021. « Le légume est encore trop souvent considéré comme ennuyeux. C’est là tout le travail du chef : rendre la cuisine du végétal joyeuse, attirante et sexy. » Également chef du restaurant étoilé du Domaine de Primard (Eure-et-Loir), Romain explique que cette perception peut évoluer avec le temps… et quelques astuces, parmi lesquelles les appellations des plats. « Je me suis beaucoup amusé chez Sapid, en appelant “burger” un bun au chou épicé cuisiné comme un pulled pork, ou une “blanquette” de champignons et céleri-rave, vers laquelle les gens se sont naturellement dirigés puisqu’il s’agit d’une appellation connue et donc, rassurante. »
HOMMAGE AUX TERROIRS DE FRANCE
Chez Spok, les légumes prennent aussi de plus en plus de place. Kévin Nicole, chef exécutif du Groupe fondé par Christophe Juville comptant 50 restaurants en France (franchisés compris), se souvient du succès de l’enseigne à la sortie du Covid. « Les gens faisaient davantage attention à ce qu’ils consommaient. La VAE Spok a cartonné, avec déjà une
offre accessible et axée sur le végétal. Hormis les plats traditionnels de type lasagne, nous proposons systématiquement des légumes via des assiettes comprenant 1 légume et 1 féculent, ou 1 légume et 1 protéine. Et l’accent était clairement mis sur les circuits courts, les gens voulaient déjà du local. » La force de Spok, c’est aussi de disposer de fournisseurs régionaux dans chaque région d’implantation, « avec des succursales régionales, pour satisfaire la demande : ainsi, 75% de nos légumes sont français ».
Chez Sapid, Romain contacte quasiment un producteur par variété de légumes. Le chef au parcours gastronomique dispose d’un précieux carnet d’adresses, lui permettant de ne sélectionner que le meilleur, rendant même « un pois chiche des Hautes-Alpes plus intéressant qu’une belle truffe noire ! ». Le Covid l’a aussi marqué, lui qui a vu un réel avant/après en matière de consommation de légumes. « À cette époque, il nous fallait aider nos producteurs. C’est aussi ça l’histoire de Sapid : l’enseigne est finalement née d’une cuisine végétale en livraison, avant de devenir ce qu’elle est aujourd’hui. »
UNE HISTOIRE DE COÛTS
Aux préoccupations liées à la santé et à l’environnement se greffe une autre réalité : l’argent. Pour beaucoup, c’est ce qui précipite cette consommation légumière effrénée à laquelle on assiste depuis quelques années. « La bonne viande est très chère, idem pour le poisson, confirme Kévin. Alors à un moment donné, il faut bien réfléchir à davantage de propositions veggies. Les coûts en hausse nous ont plus ou moins forcés à faire preuve de créativité dans nos recettes, et cela passe forcément par les légumes ». À l’heure où la junk food reste bien moins onéreuse qu’un plat sain contenant légumes et/ou
légumineuses, les restaurateurs ont dû cependant revoir leur organisation : « Plus on travaille un produit dans sa saisonnalité, moins il va être cher. Alors pour les asperges, chez Spok, on attend avril. »
Chez Sapid, l’accent est mis sur le volume car « nous sommes sur le fil en termes de food coast, nous ne faisons jamais beaucoup de marge avec le légume. Ce qui coûte cher, c’est la main-d’œuvre : éplucher, couper, laver, équeuter… Je peux proposer à la carte une pomme de terre vapeur avec un velouté de salade qui ne va pas revenir cher à l’achat mais qui demandera un vrai travail en cuisine derrière ».
Tous les professionnels du secteur sont d’accord : hors main-d’œuvre, les légumes et légumineuses présentent, quoi qu’il en soit, un moindre coût comparé aux protéines animales, ce qui participe grandement à leur succès en ces temps de crises (sanitaire, économique, géopolitique) qui n’en finissent pas depuis 4 ans. Les industriels tels qu’Eureden Foodservice (d’aucy, Paysan Breton, Cocotine) sont eux aussi plus concernés que jamais : « Nous avons une offre large du brut à l’élaboré. Mais la 1re alternative en source de protéines reste l’offre de légumineuses tels que les haricots rouges, pois chiches, lentilles, qui affichent un coût-matière raisonnable », précise Nathalie Douis.
LA FIN DU « VÉGÉTAL CONTRE CARNÉ » ?
C’est d’ores et déjà un constat: la nouvelle ère de la restauration s’annonce végétale. Un lien santé/nutrition et une écoresponsabilité qui se renforcent, une offre veggie qui s’étoffe et des protéines animales devenues hors budget accentuent d’autant plus ce phénomène.
« Aujourd’hui, les tendances sont à la consommation de produits d’origine végétale, locaux, cultivés éthiquement, continue Nathalie. L’intégration de cette notion de durabilité dans l’équation alimentaire s’inscrit à l’intersection de plusieurs disciplines, de l’agriculture à l’écologie en passant par l’agronomie, la nutrition, la restauration, la technologie. » L’idée : consommer moins de protéines animales, mais mieux. « Le combat n’est pas “végétal contre carné”, mais simplement manger mieux, en étant responsable, et en continuant à prendre du plaisir », précise Romain Meder. « Pour des questions de coût et de santé, les jeunes générations doivent apprendre à cuisiner les végétaux. Si 4 hamburgers valent 20 euros, cette somme représente au moins 2 jours de repas avec uniquement des légumes. Économiquement parlant, c’est à prendre en compte. »
Le top 3 des plats végétaux en 2023 (étude Speak Snacking 2023) : les plats cuisinés (51%), les sandwichs (25%) et les burgers (16%). Sur 1 semaine, plus de 40% des consommateurs interrogés ont consommé au moins un repas végétarien. Mais pour 63% des 18-24 ans interrogés, l’offre végétale ne serait pas suffisante dans les points de vente fréquentés.
Le végétal a aussi son Challenge !
Seul événement culinaire consacré au végétal dans l’univers du snacking, le Challenge Végétal faisait son apparition sur le salon Sandwich & Snack Show 2024. « Pour l’édition 2024, le challenge a pris de l’ampleur en mettant en scène encore plus de substituts végétaux dans les assiettes des candidats, déclarait Béatrice Gravier, directrice des salons Sandwich & Snack Show / Parizza. Une montée en puissance qui démontre l’évolution et le développement constant des alternativesvéganes dans tous les moments snacking.»
• Lauréat 2024 : Steeve Parriche - Omakaze Marmande
• Coup de coeur du Jury : Veronica Moreno - Krioya