Des exhausteurs tous azimuts !
Chacun connaît la cuisine dite « fusion », révélant le meilleur des saveurs des 4 coins du monde. Véritable succès depuis plusieurs années déjà pour tous types de restauration, cette cuisine ne saurait exister sans son élément le plus représentatif : les épices. Embarquez pour un tour d’horizon de ce marché tout en senteurs, couleurs et saveurs, qui ne cesse de se développer à travers des offres inspirées de territoires désormais situés bien au-delà nos frontières européennes… Par Émilie Niel
En restauration, la clientèle d’aujourd’hui tend toujours vers davantage de choix et d’expériences nouvelles. Bonne nouvelle : il existe au moins autant d’épices que de pays, sans compter les condiments – ces intenses mélanges de saveurs destinés à relever le goût des aliments. De quoi « pimper » les plats des plus traditionnels aux créations les plus exotiques. Et la France n’échappe pas à cet engouement pour les agréments venus d’ailleurs. Tables israéliennes ou libanaises fleurissent depuis quelques années déjà, permettant un aller sans retour pour les contrées les plus lointaines.
L’AVÈNEMENT DES CUISINES LEVANTINES
En effet, si l’Hexagone peut être fier de ses épices et de ses condiments, c’est bien la gastronomie moyen-orientale qui
s’impose clairement sur le devant de la scène depuis plus de 5 ans maintenant. « Nous assistons à un boom des cuisines levantines et méditerranéennes depuis plusieurs années », explique le directeur de Cate Marketing Rémy Lucas, qui voit ces tendances se développer et se réinventer avec le temps. « Après l’Italie et le Maroc, c’est une “nouvelle méditerranée” qui s’affirme ». Les raisons d’un tel succès ? « Il s’agit de territoires synonymes de soleil et de “bien vivre”. Nous assistons aussi à l’essor de propositions végétariennes, qui se déclinent en version street food/finger food. C’est une cuisine qui se déguste de manière conviviale, avec les doigts, et qui peut se prévaloir d’être plutôt saine, et fun. » Pour Rémy Lucas, « il s’agit là d’une tendance qui, a priori, est partie pour durer. Car elle coche toutes les cases : le fun, le soleil, le partage… et le “veggie”. »
UN MÉLANGE DE CULTURES
Shouk avec Ohad Amzallag à Paris ; Bella by Eyal Shani à Cannes mais aussi Balagan, Shabour : les tables israéliennes se multiplient donc, répondant à une demande grandissante d’une clientèle issue
de tous milieux sociaux et de toutes générations. Idem pour les restaurants libanais qui font l’objet d’un véritable retour de flamme de la part des Français depuis plusieurs années. Ya Bayté by Hébé pour la street food (75005) ; Tawlet Paris (cuisine-épicerie – 75011) ; Eats Thyme (75001) et bien d’autres : ces tables ne désemplissent pas. Le principe est toujours le même : faire voyager les hôtes vers des contrées nouvelles. Et c’est là que les épices entrent en jeu : « Les épices, mais aussi les condiments, sont essentiels dans la création mais aussi la compréhension de ma cuisine », explique le chef Alan Geaam (restaurant gastronomique Alan Geaam*, bistrots levantins Qasti, comptoir street food Sâj, restaurant Qasti Shawarma & Grill). « J’ai trois produits phares, qui sont la base de toute création
pour mes enseignes libanaises. La mélasse de grenade que nous produisons ou faisons venir du Liban. Vient ensuite le zaatar, mélange d’herbes avec du thym, du romarin, de l’hysope, de la sarriette, de la marjolaine, du sumac, du sésame… parfois même de la pistache selon les régions », continue Alan Geaam. « Une fois ménagé à un corps gras, il parfume toutes sortes de recettes… C’est un régal ! Le mien vient du Liban. Enfin, vient la fleur d’oranger pour les pâtisseries, le café blanc ou utilisée comme condiment avec des carottes pour les parfumer. Tout cela me rappelle mon enfance, le nord du Liban, le souk… J’ai décidé d’inclure tous ces souvenirs dans une cuisine personnelle, métissée, mêlant les cultures française et libanaise. »
UN SEGMENT EN FORTE CROISSANCE
Un engouement pour les épices qui se remarque à plus grande échelle, comme le confirme Eva Barlet-Narich, responsable marketing activités food service RHD chez McCormick Flavour Solutions. Son créneau : les marques Vahiné, Thaï Kitchen
et Ducros pour les herbes, épices, mélanges assaisonnements.
« Pour les épices Ducros, nous partageons l’activité et la production à parts égales entre restauration commerciale et collective – notamment en établissements de santé, où leur utilisation permet de compenser les régimes sans sel, qui manquent souvent de saveur. Les épices redonnent du goût, et peuvent aider à retrouver le plaisir de manger. Pour travailler dans ce sens et obtenir les meilleurs résultats, nous avons notamment collaboré avec l’Institut Bocuse. » Côté restauration commerciale, « nous remarquons une utilisation exponentielle des épices (mélanges du monde, ethnique) en enseignes végétariennes. Idem pour le snacking. Depuis 2 ou 3 ans, nos chiffres évoluent. Le boom de la cuisine du monde et du “voyage” a permis de booster nos ventes et ce, aussi bien pour ce qui est de la street food avec des créations comme le chipotle fumé ou le zaatar, ou encore le domaine de la santé aux connotations “bien-être” avec le curcuma. Qu’il s’agisse de catégories porteuses ou plaisir, les épices trouvent toute leur place. Elles transforment l’expérience client à moindre coût et sont idéales pour se réinventer en cuisine ».
« LE GOÛT DE ÇA »
Si les cuisines levantines ou asiatiques sont friandes d’épices, la cuisine africaine n’est pas non plus en reste. Chez New Soul Food, « family concept » créé par les frères Rudy et Joël Lainé, c’est une cuisine tradi-contemporaine qui est proposée : épices et produits frais sourcés avec soin et cuissons originales (braises au charbon de bois) confèrent aux plats leurs
saveurs uniques.
En Afrique, les baies de Selim (ou « Poivre de Selim ») sont broyées au mortier puis utilisées comme substitut du poivre. Au nez, elles évoquent le cacao amer et la citronnelle.
Après le succès de leur food truck – élu Meilleur Food truck de l’Année 2017 –, tous deux ont ouvert Le Maquis, cantine de street food afropéenne, située quai Valmy à Paris (75010). Rudy Lainé (ex-Fauchon, Grand Véfour, Laurent, Jules Verne) crée les recettes, soutenu par son frère Joël, chef pâtissier chargé de la production. Épices kankan (piment, gingembre, poivre et cannelle, avec parfois de l’ail, de la cacahuète et des graines de moutarde en poudre), M'Bongo Tchobi comprenant Maniguette, écorce d’Esesè, Olum (écorce et fruits de l’arbre à ail) et Pèbè (« fausse noix de muscade ») ou encore sauce Yassa afropéenne (oignons, citron vert, moutarde) réveillent les papilles des Parisiens, et depuis peu, des touristes curieux de découvrir toute la subtilité de la cuisine camerounaise.
Passionné par son métier, Rudy travaille chaque jour à développer ses connaissances culinaires, y compris en matière d’exploration de saveurs et d’épices nouvelles, bien souvent sélectionnées par ses soins. « Le poivre de Penja par exemple, nous allons le chercher chaque année à Penja (Cameroun). Parce que nous voulons comprendre d’où vient ce produit, comment il est travaillé, récolté… Nous allons le chercher à la source ! Quand j’ai décidé de me lancer dans ce projet, il m’était indispensable de savoir comment étaient fabriqués les produits que j’utilise. Je dois savoir de quoi je parle ! » Il est donc parti à la découverte d’un nouveau monde, renfermant parfois des trésors issus de contrées les plus reculées. « Beaucoup de ces épices – notamment les kankan – sont issues d’ethnies qui détiennent les secrets de ces mélanges depuis des générations, c’est assez incroyable ! C’est grâce à eux que l’on peut nous, par la suite, élaborer nos mélanges. Chez nous, ce sont les épices qui font notre cuisine, qui nous différencie ! Et nos habitués reviennent pour retrouver les saveurs de chez eux, le goût du pays, “le goût de ça” ! ».
Les épiceries qui font parler d’elles
Les Elles dévoilent des trésors de saveurs, issus des quatre coins du monde :
♦ L’épicerie street food par Moïse Sfez rue Rambuteau (75004)
♦ L’Alimentation, « presque épicerie » de Benoît Castel rue Sorbier (75020)
♦ Shosh, dernier-né des « delis » israéliens par Assaf Granit, Tomer Lanzman, Dan Yosha et Uri Navon (75002)
♦ Le Doukane, épicerie franco-libanaise par Alan Geaam et Anthony Rahayel (75003)
♦ Et toujours MAM, boutique-épicerie & pâtisserie de Stéphanie Le Quellec rue Fourcroy (75017)
Mélange libanais Zaatar
« Lancé en avril 2021, ce mélange aux 6 épices et aromates remporte un vrai succès », souligne Eva Barlet-Narich, McCormick. « Fabriqué et conditionné en France sans colorants, ni arômes artificiels, il est équilibré, peu épicé, et s’adapte à toutes les sauces. On le voit énormément aux menus des restaurants. »
■ Baie selim
En Afrique, les baies de Selim (ou « Poivre de Selim ») sont broyées au mortier puis utilisées comme substitut du poivre. Au nez, elles évoquent le cacao amer et la citronnelle.
■ Baies de Timut du Népal bio - Poivre « pamplemousse »
La baie de Timut observe d’intenses arômes de pamplemousse et d’herbes séchées. Récolté au Népal (Katmandou), ce « faux poivre » est un cousin de la baie de Sichuan (Chine).